mai 01, 2006

La diminution sensible de la concurrence et la fusion d’entreprise

Vous venez de faire l’acquisition de votre concurrent. Vous devez, conformément à l’entente survenue avec le Commissaire de la concurrence vous dessaisir d’actifs. Dans le cadre d’un dessaisissement conformément à une entente convenue avec le Commissaire de la concurrence suivant l’acquisition d’un concurrent, il peut arriver qu’un changement de circonstances modifie quelque peu la condition qui a été présentée au Bureau de la concurrence, organisme fédéral responsable de l'administration et de l'application de la Loi sur la concurrence. Êtes-vous lié par l’ordonnance antérieure ?

Changements de circonstances

En vertu de l’article 106 de la Loi sur la concurrence, le Tribunal peut annuler ou modifier un consentement ou une ordonnance rendue en matière de fusionnements ou de pratiques restrictives de commerce lorsqu’il y a, notamment, un changement de circonstances. Le Bureau de la concurrence pourrait alors considérer qu’il n’y aura pas diminution sensible de la concurrence si l’on prévoit l’entrée d’un ou plusieurs concurrents dans le même marché dans les deux années qui suivent la fusion.

L’éclairage apporté par l’arrêt RONA

Dans l’affaire RONA inc. c. La Commissaire de la concurrence, TC-2003-007 (ci-après « RONA »), le juge souligne « [qu’]il ne faut pas oublier que le texte de loi lui même prévoit à l'article106 la possibilité de modifier ou d'annuler un consentement. Dans sa sagesse, le législateur reconnaît que les prévisions humaines sont parfois imparfaites, et que l'état d'un marché où le Commissaire croit bon d'intervenir peut changer. Le législateur a décide qu'il ne convenait pas de continuer d'imposer l'exécution d'un consentement ou d'une ordonnance si les circonstances présidant a l'adoption de la mesure de redressement changeaient et qu'il était établi que les nouvelles circonstances avaient pour effet d'éliminer la nécessite de la mesure en question ». En effet, la force du consentement réside dans son utilité : il permet la réalisation d'une transaction tout en corrigeant une situation apparente de non-concurrence. A partir du moment où la concurrence se rétablit d'elle-même, le consentement perd entièrement son utilité et partant, il n'est que logique qu'il perde également sa force exécutoire.

Dans l’affaire RONA, le Tribunal a reconnu qu’en modifiant les articles 105 (portant sur les consentements) et 106 de la Loi en juin 2002, le législateur a voulu accorder plus de souplesse aux parties dans la négociation des consentements afin de régler rapidement les obstacles à la concurrence soulevés par un projet de fusionnement. Selon le Tribunal, c’est dans cette optique qu’il faut interpréter le test de l’article 106 de la Loi, lequel prévoit la possibilité de modifier et d’annuler de tels consentements.

Assouplissement des procédures

Avec les modifications de 2002, le législateur a voulu accorder plus de souplesse aux parties lors de la négociation des consentements. En effet, l’article 106(1) de la Loi sur la concurrence reconnaît à son tour que le consentement naît de la volonté des parties, et que sa modification ne peut être envisagée qu'à la lumière de la volonté des parties. L'objet de la Loi est la concurrence, et en adoptant les modifications de 2002, le législateur donne effet à une méthode afin de régler plus rapidement les problèmes qui peuvent se poser et qui font obstacle la concurrence. Au lieu de que de laisser sévir une situation non concurrentielle, le législateur donne aux parties un moyen de régler la question, par l’arrêt RONA

Dans le cadre de l’acquisition de Réno-Dépôt inc. par RONA inc. conclue en avril 2003 et aux termes de laquelle RONA devait devenir propriétaire des vingt magasins de quincaillerie rénovation de Réno au Québec et en Ontario, le Commissaire de la concurrence avait donné son aval à cette transaction sous réserve que RONA se dessaisisse d’un magasin Réno situé à Sherbrooke. Or, après avoir signé le consentement en septembre 2003, RONA a recueilli au fil des mois plusieurs éléments d’information qui faisaient état de la venue de son principal concurrent, Home Depot, dans la région métropolitaine de Sherbrooke (Qc) et, en janvier 2005, elle a finalement obtenu confirmation de l’ouverture d’un magasin Home Depot à Sherbrooke (Qc) à l’automne de 2005. RONA a donc déposé, en janvier 2005, une demande en vertu de l’article 106 de la Loi afin que le Tribunal prenne acte de ce changement de circonstances et annule le consentement.

Dans sa décision, le Tribunal a donc d’abord conclu que la preuve confirmait l’arrivée de Home Depot à Sherbrooke (Qc) à l’automne de 2005 et que l’entrée en scène d’un concurrent important comme Home Depot dans la région métropolitaine de Sherbrooke (Qc) constituait effectivement un changement de circonstances tel que défini à l’article 106(1) a) de la Loi sur la concurrence. Par la suite, le Tribunal a tenté de déterminer la possibilité que les parties signent le consentement sur la base de ces nouvelles circonstances. Selon le Tribunal, la preuve a démontré que RONA n’aurait pas accepté de se dessaisir du magasin Réno à Sherbrooke (Qc) si elle avait su que Home Depot allait effectivement ouvrir un magasin dans la région de Sherbrooke (Qc) à l’automne de 2005 et si la date de la venue de son concurrent principal avait été connue à la fin de l’été de 2003, au moment où le consentement a été signé.

Conséquences de l’arrêt RONA

Cet arrêt est important puisque le Tribunal a statué qu’il devait se demander si l’arrivée de Home Depot répondait aux préoccupations quant à une diminution sensible de la concurrence dans la région de Sherbrooke (Qc). Il a conclu que le risque de non-concurrence n’existe plus en raison de l’ouverture du magasin Home Depot à l’automne de 2005 et qu’il n’y a donc plus lieu pour le Commissaire d’insister pour maintenir une mesure de redressement qui n’est plus nécessaire. En d’autres mots, le consentement avait perdu son utilité puisqu’il n’y avait plus de situation de non-concurrence à corriger. Il permet finalement de mieux définir le fardeau de la preuve auquel seront tenus les requérants qui désirent faire modifier ou annuler un consentement enregistré en vertu de la nouvelle procédure prévue à l’article 105 en matière de fusionnements.


Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

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