mars 01, 2005

Avez-vous le droit de concurrencer votre ancien employeur ?

Vous possédez une solide expérience et avez développé une expertise appréciable qui vous motive à voler de vos propres ailes en affaires. Vous poussez l’audace jusqu’à concurrencer directement votre ancien employeur. En avez-vous le droit ?

La clause de non concurrence

Tout récemment, l’arrêt LXB communication marketing inc. c. Brien,[1] soulignait les limites à respecter dans l’industrie de la publicité en matière de non concurrence. Le Dictionnaire de droit québécois et canadien définit la clause de non concurrence comme étant une « clause d’un contrat par laquelle une des parties s’interdit, pour un temps et un lieu déterminés, d’exercer une activité professionnelle ou commerciale susceptible de faire concurrence à celle-ci » . Ces trois critères de légitimité de l’étendue des activités prohibées, de la portée territoriale de la prohibition et de la durée de celle-ci sont maintenant codifiés au deuxième alinéa de l’article 2089 du Code civil du Québec (C.c.Q.). Leur validité est reconnue, quoique l'on impose certaines exigences: ces clauses doivent être formulées par écrit, en termes exprès, et être circonscrites, tant dans leur domaine que dans leur portée géographique et temporelle, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur. Après une cessation d’emploi, une personne est libre de concurrencer directement avec son ancien employeur s’il n’existe aucune clause de non concurrence entre les parties. L’employé ne doit toute fois pas violer son obligation d’agir de bonne foi. De plus, il doit éviter les tactiques déloyales ou l’utilisation illégale d’informations confidentielles.

Les tactiques déloyales

Un auteur français[2] énumérait les actes que les tribunaux ont considéré comme déloyaux après la fin de l’emploi : i) obtenir la liste des clients par l’entremise d’employés toujours à l’emploi de la compagnie, ii) révéler les affaires de son ancien employeur et iii) se faire engager uniquement pour apprendre qui sont les clients de l’employeur et partir avec ses employés.

Peut-on alors profiter de l’expertise acquise chez l’ancien employeur sans lui faire concurrence ? L’arrêt Lange Canada Inc. c. Platt[3], le tribunal décida qu’un employé ne violait aucune obligation implicite lorsqu’il utilisa chez un nouvel employeur les connaissances générales acquises chez le précédent, eu égard à l’organisation et aux pratiques commerciales, considérant l’intérêt tout aussi légitime du salarié de conserver une capacité de gain.

Cependant, la jurisprudence[4] souligne que la sollicitation directe d’employés d’un ancien employeur peut, suivant les circonstances, constituer de la concurrence déloyale. Dans le même ordre d’idée, la jurisprudence[5] mentionne également que les clients n’étant pas la propriété de ceux qui ils requièrent les services, le recrutement des clients d’un ex-employeur ne constitue pas en soi une opération illégale ou déloyale, mais tout est dans la manière. Les clients étant libres de leur choix, on ne peut, par injonction, interdire à un ancien employé de rendre des services à des clients de son employeur qui ont fait appel à ses services, sans qu’il y ait eu sollicitation de sa part. Les actes de concurrence déloyale sont la sollicitation directe, ciblée et active (appels téléphoniques, lettres, rencontres) et la subtilisation de la liste des clients de l’entreprise. Le salarié qui a quitté son emploi sans être lié par une clause de non concurrence a le droit de faire valoir sa compétence, son expérience et ses connaissances. Conséquemment, il ne peut chercher à s’approprier la clientèle de son ancien employeur que par les moyens généraux de sollicitation, tels radio, télévision, journaux.

Que peut contenir la clause de non concurrence ? L’interdiction d’un employé d’exercer une activité commerciale susceptible de nuire concurrence à celle de son ancien employeur pour un temps et un lieu déterminés.

Le délai raisonnable après la cessation du contrat

En l’absence d’une clause de non concurrence, la durée de l’obligation de loyauté se calcule à compter de la cessation de contrat peut varier, selon la jurisprudence[6] allant d’une période de quatre à douze mois.

La clause de non concurrence limitée quant au lieu

La délimitation géographique doit être raisonnable. La restriction géographique de la concurrence ne doit pas dépasser celle nécessaire à la protection de l'intérêt de l'employeur, et ne dépasse sans doute pas la zone d'opération de l'ancien employé.

En conclusion, même sans les dispositions contractuelles de protection décrites dans le présent article, les employés ont à l'égard de leurs employeurs, en vertu de la common law, une obligation de confidentialité, de loyauté et de bonne foi qui, dans le cas d'employés cadres, équivaut à une obligation fiduciaire. Au Québec, le droit civil fait plutôt référence à l’obligation générale de loyauté et au principe selon lequel plus le poste est important, plus les responsabilités sont lourdes. En effet, le devoir exige d’un employé une éthique prononcée, tant son travail que dans sa conduite personnelle.

Par ailleurs, l’article 2095 C.c.Q souligne le caractère réciproque de l’obligation de bonne foi : l’employeur ne pourra « se prévaloir d’une stipulation de non concurrence s’il a résilié le contrat sans motif sérieux ou s’il a lui-même donné un tel motif de résiliation ».

Enfin, les règles d’équité et de bonne foi s’appliqueront, aux termes de l’article 2091 C.c.Q. en matière de rupture de contrat de travail à durée indéterminée. Ainsi, on ne pourra mettre fin à ce contrat que moyennant un délai de congé raisonnable eu égard aux circonstances particulières et à la durée du contrat. Cette disposition vient confirmer le principe plus général énoncé à l’article 1375 C.c.Q. selon lequel la bonne foi doit gouverner la conduite des parties même lors de l’extinction de l’obligation.

[1][2003] J.Q. no 2646 (C.S.)
[2] Droit civil du contrat de louage, Baudry-Lacantinière – Wahl, 3e éd. Tomme 2, pp. 41-52.
[3] [1973] C.A 1068
[4] Groupe Québécor Inc. c. Grégoire, J.E. 86-760 (C.S.); Marque d’or Inc. c. Clayman, [1988] R.J.Q. 706 (C.S.); Voyages Routair inc. c. Hanna, J.E. (C.S.), D.T.E. 94T-690 (C.S.)
[5] Imprimerie d’Arthabaska inc. c. Roux, J.E. 96-1666 (C.S.); Rose c. Denis, [2002] R.J.Q. 797 (C.Q.)
[6] Johnson & Higgins Willis Faber Ltée c. Picard, [1989] R.J.Q. 24 (C.A.); Dion DeGagné et Associés inc. c Marchand, J.E. 92-1783 (C.S.), D.T.E. 92T-1352 (C.S.) ; Gestion D. Betrand & Fils Inc. c. 9008-3122 Québec Inc. [1995] R.D.J. 56 (C.S.)

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.

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