décembre 01, 2008

Deux évènements, un territoire et la probabilité de confusion, une question de principe ou de préjudice

Il arrive parfois que deux évènements visant le même objectif défendent leur marque de commerce et ce, même s’ils sont sans but lucratif, comme ce fut le cas dans l’arrêt Vélo Québec Événements (Tour de l'Île de Montréal) c. Épreuves de la Coupe du monde cycliste féminine, [2006] R.D.Q. no 68. Les faits en l’espèce sont simples : Depuis plus de vingt ans, Vélo Québec organise la très populaire randonnée cycliste : Le Tour de l'Île de Montréal, qui a lieu annuellement le premier dimanche de juin. Des dizaines de milliers de gens de tous les âges et de tous les niveaux de compétence cycliste participent à cet, tous les niveaux, à l’exception de l’élite. Vélo Québec a fait enregistrer deux marques de commerce, soit la marque Tour de l’île de Montréal, dont le certificat d'enregistrement est daté du 17 juin 1988, comprenant l'enregistrement inclut le dessin d'un homme habillé à l'ancienne mode et tenant un vieux modèle de bicyclette, et une autre marque : Le grand tour, dont le certificat d'enregistrement porte la date du 30 mars 1999

L'enregistrement de la marque TIM est modifié en date du 5 janvier 2005. Le certificat de modification contient le même désistement quant aux mots "Ile de Montréal " et avise qu'en plus des marchandises déjà identifiées, la marque est "employée au Canada depuis aussi tôt que 01 juin 2002" en liaison avec plusieurs autres marchandises. Cette fois-ci, des services sont spécifiés, soit les services suivants :

(1) Programmation de compétitions et d'événements sportifs associés à la bicyclette; promotion auprès de commanditaires et du public en général d'activités et d'événements sportifs associés à la bicyclette; organisation de compétitions et d'événements sportifs associés à la bicyclette.
(2) Agence de voyages, organisation d'excursions pour touristes, nommément organisation d'excursions en bicyclettes, organisation de randonnées à pied.
(3) Publications de journaux, publication de magazines, publication de manuels, publication de livres, publication de cartes routières, nommément de cartes indiquant les pistes cyclables, de cartes indiquant les circuits de randonnée à pied.
(4) Production de films cinématographiques, production d'émissions télévisées, productions de bandes vidéo.
En ce qui concerne la marque : Le Grand Tour, son certificat d'enregistrement porte la date du 30 mars 1999 et contient un désistement quant au droit à l'usage exclusif du mot "TOUR" et indique que cette marque est employée depuis aussi tôt que mars 1994 en liaison avec certaines marchandises ainsi qu'avec les services suivants :

Formation, divertissements, activités sportives et culturelles, nommément organisation et conduite de randonnées cyclistes, ateliers de formation; édition de livres et de revues, nommément dépliants, carnets, calendriers, documents de formation; conseil, information ou renseignements d'affaires, nommément services touristiques.

La Coupe du monde féminine, pour sa part, organise depuis 1998 une course cycliste de calibre élite pour femmes : La Coupe du monde féminine. La Course sur la montagne se tient sur le Mont-Royal le dernier samedi de mai tous les ans. Cette course fait partie d'un circuit international de neuf courses organisées et sanctionnées par l'Union cycliste internationale. Contrairement au Tour de l'Île où tout le monde peut participer sans inscription ou preuve de ses capacités, les critères de sélection pour participer à la Course sur la montagne s'avèrent très sélectifs. La participation se fait strictement sur invitation. Seulement les vingt meilleures équipes au monde sont sollicitées et celles-ci sont composées de 4 à 6 athlètes chacune.

La preuve a révélé que la désignation "tour" n'est pas donnée à toutes les courses importantes de ce genre à travers le monde, mais qu'une bonne majorité s'appellent ainsi, soit quelque 70 %. De plus, il y a des randonnées populaires semblables au Tour de l'Île de Montréal qui se désignent par le nom "tour".

L'article 20 de Loi sur les marques de commerce permet au détenteur d'une marque enregistrée d’obtenir une injonction si la marque ou le nom du défendeur ne fait que créer de la confusion avec la marque enregistrée, que les marchandises ou services soient ou non de la même catégorie. Le fardeau de preuve imposé à Vélo Québec en vertu de l'article 20 de la Loi sur les marques est de démontrer qu'il est probable que le consommateur moyen, n'ayant qu'un souvenir vague ou imprécis de la marque enregistrée du demandeur, serait amené à croire, comme première réaction face aux produits du défendeur, que ceux-ci proviennent du demandeur. C'est le test communément appelé « le test de la confusion ». L'article 6(5) de la Loi sur les marques identifie cinq éléments à considérer pour déterminer si une marque ou nom commercial crée de la confusion avec la marque d'un demandeur. Cette liste d'éléments n'est pas exhaustive et la loi stipule qu'il faut surtout tenir compte de "toutes les circonstances de l'espèce", soit
1- Le « caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus »;
2- La « période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage »
3- Le «genre de marchandises, services ou entreprises »;
4- La « nature du commerce », plus précisément dans ce cas ci, celui des participants et celui des spectateurs
5- Le « degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent »
Vélo Québec soulève aussi le fait que l’organisme a reçu des appels téléphoniques du public et de la presse, surtout en 2002, qui pourraient indiquer une possible confusion à l'effet que Vélo Québec joue un rôle dans l'organisation du Tour du Grand Montréal

Le Tribunal a conclu que, dès qu'il s'agit d'un événement cycliste, le public est apte à téléphoner à n'importe quelle association de cyclisme pour obtenir des renseignements. Il ne s'agit pas de la confusion entre les deux noms sous étude, mais plutôt d'une présomption de la part du public à l'effet que toutes les activités du monde du cyclisme sont reliées. De plus, à la lumière des critères analysés, le seul fait qu'il peut y avoir des appels téléphoniques à Vélo Québec n'est pas en soi suffisant pour prouver la probabilité de confusion.

Finalement, le Tribunal conclut sur la note suivante : deux organismes qui devraient logiquement être des alliés, s'affrontent sur la place publique pour ce qui semble être bien plus une pure question de principe qu'un souci réel de préjudice.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

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