décembre 01, 2012

Le délai pour agir



Il arrive que certains droits soient violés mais que le délai pour les faire faire valoir soit dépassé, d’où l’importance d’agir rapidement. L’arrêt Chaussures Régence inc. c. Naturmania inc., 2011 QCCS 744 (CanLII) illustre bien ce propos.

Rappelons les faits. Régence est une entreprise qui, depuis sa fondation [1979], œuvre dans le domaine de la conception, la fabrication et la vente en gros de bottes sous différentes appellations, dont celle de « Acton ». De leur côté, Naturmania et 9144 sont des entreprises liées qui, depuis leur fondation, oeuvrent dans le domaine de la vente et la distribution d'accessoires, de vêtements et de bottes de chasse. Elles commercialisent leurs produits sous le nom commercial « Action ». Le 8 juin 1990, Acton international inc., l'entreprise qui commercialise des bottes sous le nom commercial « Acton », demande à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada d'enregistrer une marque de commerce pour ce nom. Acton international inc. fait alors valoir que le nom « Acton » est employé au Canada, par elle-même et ses prédécesseurs, depuis 1937. De ce fait, elle soutient que ce nom est devenu distinctif et qu'il l'est toujours au moment du dépôt de sa demande. Le 29 septembre 1995, la demande produite par Acton international inc. est approuvée en tant que marque de commerce.

À la fin des années 90, le fondateur des magasins SAIL, M. Côté, commence à utiliser le nom commercial « Action » pour commercialiser et vendre des accessoires de chasse et de pêche. En 2002, M. Côté s'associe à M. Claude Bernadet, le principal Actionnaire et administrateur des défenderesses Naturmania et 9144. Ensemble, ils commercialisent, distribuent et vendent des vêtements de chasse sous le nom « Action ». En mai 2003, par l'intermédiaire de la société 159182 Canada inc., M. Côté demande à Régence de fabriquer 8000 paires de chaussons pour bottes et de coudre sur ces chaussons des étiquettes « Action ». Au cours de l'année 2004, Régence obtient une licence du propriétaire de la marque de commerce « Acton ». Elle entreprend ainsi la commercialisation, la distribution et la vente de bottes et chaussures sous le nom « Acton ». Au cours de l'année 2008, il se produit deux événements démontrant qu'il peut exister une certaine forme de confusion entre les noms « Acton » et « Action ». D'abord, un distributeur de produits « Acton » retourne à Régence un lot de bottes de chasse « Acton » défectueuses. Parmi ce lot, on retrouve une paire de bottes « Action » qui ressemblent aux bottes « Acton ». Puis, en septembre 2008, Régence est informée qu'une publicité de l'un de ses distributeurs, Tony Pappas inc., identifie des bottes « Acton » sous le nom « Action ». Régence attribue ces méprises à la ressemblance qui existe entre les noms « Acton » et « Action ». Elle fait alors peu de cas du fait que les bottes de chasse « Acton » sont elles-mêmes, depuis 2006, des copies des bottes de chasse « Action ». À la suite de ces événements, soit le 2 octobre 2008, Régence met formellement en demeure Naturmania de cesser d'utiliser le nom commercial « Action ». Puis, le 17 février 2009, devant le refus d'obtempérer de Naturmania, elle entreprend le recours en injonction dont le Tribunal est saisi.



Si le Tribunal en arrive à la conclusion que l'usage du nom commercial « Action », lorsque utilisé en lien avec des chaussures ou des bottes, viole la marque de commerce « Acton », il souligne toutefois que le fait que Régence savait que des bottes étaient commercialisées sous le nom « Action », jamais Régence ne leur a-t-elle reproché, avant le 2 octobre 2008, le fait qu'elles utilisent le nom « Action » pour vendre ou commercialiser des bottes de chasse. Selon le Tribunal, il est difficile de soutenir que Régence n'aurait appris qu'en 2008 que des bottes étaient commercialisées sous le nom de « Action » alors qu'en 2003, elle a fabriqué, contre rémunération, 4000 chaussons pour bottes « Action ». Le risque probable de confusion entre le nom commercial « Action » et la marque de commerce « Acton » aurait dû être dès lors soulevé par Régence. Or, ce n'est pas ce qu'elle a fait. Elle a attendu cinq ans avant de réagir. L’inaction lui est fatale, que ce soit sous l'angle d'une fin de non-recevoir ou encore, en vertu des règles de la prescription extinctive. Le Tribunal a donc rejeté la demande.



Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

novembre 01, 2012

Les produits sans tabac

La Loi sur le tabac a limité les commerces relativement à l’offre de leurs produits, même sans tabac. Cependant, la Cour est venue préciser la portée de la loi dans l’arrêt Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Orienthé Montréal ltée (L') 2012 QCCQ 2716. L'Orienthé Montréal Ltée a été enregistré le 26 mai 2005. Selon son plan d'affaires, le commerce est exploité en tant que salon de thé et endroit où l'on sert le narguilé, c'est-à-dire des pipes de shisha. Peu de temps après, entre en vigueur la Loi sur le tabac. Le propriétaire s'y conforme en offrant à ses clients le narguilé fait exclusivement de shisha sans tabac, donc ne contenant pas de nicotine. Le narguilé est un flacon d'eau aromatisée par laquelle passe de la fumée qu'une personne aspire par un long tuyau. Or, en 2008, entre en vigueur l'article 1 du Règlement d'application de la Loi sur le tabac assimilant à du tabac tout produit qui n'en contient pas et qui est destiné à être fumé.

L'article 1 de la Loi sur le tabac se lit ainsi:

«La présente loi s'applique au tabac récolté, qu'il soit traité ou non et quelles que soient sa forme et sa présentation. Est assimilé à du tabac, tout produit qui contient du tabac ainsi que tout autre produit ou catégorie de produit qui, au terme d'un règlement du gouvernement, y est assimilé.»

En 2010, les inspecteurs de Santé Tabac se présentent au commerce. Ils l'informent de l'illégalité du narguilé et du shisha et émettent un constat d'infraction. Le propriétaire a donc cessé d'offrir ce produit à sa clientèle. Son chiffre d'affaires a baissé depuis, de 20 à 30 %.

Selon la Cour, cet article a pour but d'éviter au poursuivant l'obligation de faire la preuve, par le dépôt d'un certificat d'analyse par exemple, qu'un produit tombe sous l'application de la Loi sur le tabac et l’assimile à une présomption, laquelle demeure réfragable par le défendeur. À compter du moment où le défendeur repousse cette présomption par une preuve crédible et vraisemblable, le poursuivant doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, qu'il s'agit bien de tabac.

Le propriétaire ayant démontré que le produit utilisé dans le narguilé offert à l'Orienthé ne contenant aucun tabac, la Cour a considéré qu’il avait repoussé la présomption. N'ayant pas présenté d'autres preuves, le Directeur des poursuites pénales et criminelles ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que le produit utilisé dans les narguilés du commerce contenait du tabac.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

octobre 01, 2012

Les bons primes



Nous savons, par l’article 427 du Code criminel que quiconque, en personne ou par son employé ou agent, directement ou indirectement émet, donne, vend ou autrement aliène, ou offre d’émettre, de donner, de vendre ou d’autrement aliéner, des bons-primes à un marchand ou négociant en marchandises pour emploi dans son commerce est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Or qu’est-ce que le bon prime selon le Code criminel? L’article 379 du Code criminel définit les bons primes comme étant toute forme de récépissé d’espèces, reçu, coupon, billet de prime, ou autre objet destiné à être donné à l’acheteur de marchandises par le vendeur ou en son nom, et à représenter un rabais sur le prix des marchandises ou une prime à l’acheteur et qui, selon le cas est rachetable par (i) toute personne autre que le vendeur, la personne de qui le vendeur a acheté les marchandises, ou le fabricant des marchandises, (ii) le vendeur, la personne de qui le vendeur a acheté les marchandises ou le fabricant des marchandises, en espèces ou en marchandises qui ne sont pas en tout ou en partie sa propriété,(iii) le vendeur ailleurs que dans le local où les marchandises ont été achetées; ou n’indique pas à sa face l’endroit où il est délivré ni sa valeur marchande ou n’est pas rachetable sur demande, à tout moment.

Il ressort de la lecture des articles 379 et 427 du Code criminel, selon Nicole L’Heureux, Droit de la consommation, que l’utilisation des bons primes est permise si ces derniers:

Sont remboursables par le vendeur, le distributeur ou le fabricant des biens pour lesquels ils ont été distribués

Sont remboursables au lieu où les biens ont été achetés

Sont remboursables sans égard à leur quantité

Sont remboursables en argent ou en marchandises qui sont au moins la propriété de la personne qui a émis les bons

Et comportent l’indication d’une valeur marchande, l’adresse du vendeur et un énoncé à l’effet que le remboursement peut être effectué en tout temps

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

septembre 01, 2012

Petit rappel sur la confusion des marques de commerce

La désormais célèbre affaire Lassonde (“Oasis”) a permis de metre en lumière qu’il existait une certaine confusion, si on me permet l’expression, concernant la confusion des marques de commerce. Je me permets donc de revenir sur le sujet en rappelant certaines décisions sur ce sujet. L’arrêt clé sur le sujet est Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp. (C.A.), [1998] 3 C.F. 534. Plusieurs décisions font souvent référence à cet arrêt pour souligner les grands principes qui y sont établis.

Rappelons les faits :

Les films "Pink Panther" sont une série de comédies mettant en vedette le grand et regretté comédien Peter Sellers dans le rôle de l'inspecteur Clouseau, un détective parisien gaffeur qui, malgré ses maladresses, parvient toujours à résoudre le crime. Dans le premier film de la série, intitulé The Pink Panther, l'inspecteur Clouseau est chargé d'enquêter sur un vol. L'objet volé est une fabuleuse pierre précieuse affligée d'un unique petit défaut qui, lorsque la pierre est tenue dans la lumière, ressemble à une panthère rose. D'où le titre du film. 6 autres films ont suivi. Même si tous les films y font référence, la pink panther elle-même (c'est-à-dire le bijou) n'est essentielle que dans le premier film et n'apparaît à part cela que brièvement dans le troisième épisode de la série. Mais le nom de "Pink Panther" a survécu et continue d'être assez célèbre, non seulement par rapport aux films, mais aussi pour une série de dessins animés et un thème musical couronné par un Oscar.

United Artists Corporation est propriétaire de trois marques de commerce déposées au Canada. Pink Panther Beauty Corporation a été constituée en société pour vendre, sous son propre nom, des produits de beauté et de soins capillaires, offerts par l'intermédiaire de salons de beauté. Le 19 février 1986, elle a demandé l'enregistrement de la marque de commerce "Pink Panther" pour un usage projeté au Canada en liaison avec un large éventail de produits de beauté et de soins capillaires, et dans l'exploitation d'une entreprise spécialisée dans la distribution de produits de beauté et de soins capillaires ainsi que dans l'éducation et la formation d'autres personnes dans la distribution de ces produits. United Artists Corporation s'est opposé à l'enregistrement.

La Loi sur les marques de commerce pose clairement que la protection ne vise pas le droit exclusif à toute marque qu'une personne peut concevoir, mais le droit exclusif d'employer celle-ci en liaison avec certains produits ou services. Le paragraphe 6(5) énumère six facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a un risque de confusion entre des marques de commerce, cinq spécifiques et un général. Les facteurs spécifiques sont les suivants: le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période d'emploi; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Dans cet arrêt, le juge mentionne qu’il a pris «connaissance d'un certain nombre d'autres affaires concernant des marques de commerce célèbres: "Coca-Cola", "Cartier" et "Wedgwood". Dans chacune d'elles, la marque célèbre l'a emporté, mais chaque fois, on a conclu à l'existence d'un lien ou d'une similarité entre les produits ou les services. Faute d'établir un tel lien, il est très difficile de justifier toute extension des droits de propriété aux domaines du commerce qui ne touchent que de loin le titulaire de la marque de commerce. Si tel devait être le cas, ce ne sera que dans des circonstances exceptionnelles»

Le test Pink Panther a été revu dans les arrêts Mattel et Veuve Cliquot. Ces arrêts sont le rappel qu’on peut conclure à une vraisemblance de confusion entre les marques de deux parties, que les marchandises ou services de ces parties soient ou non de la même catégorie générale. Il n’est pas requis de rechercher absolument un lien entre les secteurs d’activité des parties afin de conclure à la vraisemblance de confusion.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique




août 01, 2012

Le consommateur crédule

Un arrêt important de la Cour suprême paru plus tôt cette année mérite d'être abordé puisqu'il précise certains aspects de la Loi sur la protection du consommateur.

M. Jean-Marc Richard a reçu par courrier un « Avis officiel du concours Sweepstakes » sous forme de lettre signée, apparemment, par la directrice du programme et bordée d’encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu’elle émane de Time Magazine. La lettre rédigée en langue anglaise seulement, combine plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras sous forme exclamative dans le but de capter l’attention du lecteur en lui suggérant qu’il est le gagnant d’un prix en argent de 833 337,00 $US. Cependant, on retrouve des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots « Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps ». Au verso, la lettre indique d’ailleurs que M. Richard sera admissible à un prix additionnel de 100 000,00 $ s’il valide son inscription à l’intérieur d’un délai de cinq jours. L’envoi postal contenait aussi un coupon‑réponse ainsi qu’une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon‑réponse offrait également à M. Richard la possibilité de s’abonner au magazine Time. Par ailleurs, les règles indiquaient qu’un numéro gagnant avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s’il retournait le coupon‑réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l’éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon‑réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon‑réponse et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions. M. Richard étant convaincu qu’il était sur le point de toucher la somme promise, il a retourné le coupon‑réponse se trouvant à l’intérieur de l’enveloppe et s’abonnant au magazine Time. Peu de temps après, M. Richard a commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers sans pour autant recevoir le chèque espéré. Il a contacté Time, qui l’a informé qu’il ne recevrait aucun chèque puisque la lettre ne portait pas le numéro gagnant du tirage et ne constituait qu’une simple invitation à participer à un concours. Il l’a également informé que la directrice du programme qui avait signé la lettre n’existait pas, s’agissant plutôt d’un « nom de plume ».

M. Richard a déposé une requête introductive d’instance demandant à la Cour supérieure du Québec de le déclarer gagnant du prix en argent mentionné dans la lettre et de condamner Time magazine à des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs correspondant à la valeur du gros lot. La Cour supérieure a accueilli le recours en partie. Elle a jugé que la lettre contrevenait aux prescriptions du titre II de la L.p.c. portant sur les pratiques interdites de commerce et donnait ouverture aux sanctions civiles prévues à l’art. 272 L.p.c. La juge a fixé à 1 000 $ la valeur des dommages moraux subis par M. Richard. Elle a fixé à 100 000 $ le quantum des dommages‑intérêts punitifs qui lui étaient également octroyés.

La Cour d’appel a accueilli l’appel de Time Magazine et conclu qu’il n’avait pas violé la L.p.c. D’abord, Time Magazine n’avait pas violé l’art. 228 L.p.c. en omettant d’écrire clairement sur la lettre que M. Richard pouvait ne pas être le gagnant du gros lot. De plus, l’utilisation du nom d’une personne fictive comme signataire de la lettre ne violait pas l’al. 238c) L.p.c., car cela n’était pas susceptible de tromper les consommateurs sur l’identité du commerçant. Enfin, le la lettre ne contenait aucune représentation fausse ou trompeuse, car il ne serait pas de nature à tromper le consommateur « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux ». La Cour d’appel a cassé la condamnation à des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs

La Cour suprême rappelle que l’article 218 L.p.c. encadrant l’application de toutes les dispositions du titre II concernant les pratiques de commerce interdites, prescrit que, pour déterminer si une représentation constitue une telle pratique, il faut examiner l’« impression générale » donnée par la représentation ainsi que, s’il y a lieu, le « sens littéral » des termes qui y sont employés. En ce qui concerne la publicité fausse ou trompeuse, l’impression générale est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l’égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Elle s’analyse en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée par le commerçant. Pour respecter l’objectif du législateur de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires, le critère de l’impression générale doit être appliqué dans une perspective d’un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact complet avec une publicité. Une importance considérable doit être attachée non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur. Définir le consommateur moyen comme « moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux » se concilie mal avec le libellé et l’esprit de l’art. 218 L.p.c. Les tribunaux appelés à évaluer la véracité d’une représentation commerciale doivent procéder, selon l’art. 218 L.p.c., à une analyse en deux étapes, en tenant compte, s’il y a lieu, du sens littéral des mots employés par le commerçant : (1) décrire d’abord l’impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite.

La Cour rappelle que le consommateur moyen, après une première lecture de la lettre, aurait eu l’impression générale que M. Richard détenait le numéro gagnant et qu’il lui suffisait de retourner le coupon‑réponse pour que la procédure de réclamation puisse s’enclencher. Le curieux assemblage d’affirmations et de restrictions que contient la lettre n’est pas suffisamment clair et intelligible pour dissiper l’impression laissée par ses phrases prédominantes. Même si la lettre ne contient pas nécessairement d’énoncés qui sont littéralement faux, il reste qu’il est truffé de représentations trompeuses au sens de l’art. 219 L.p.c. De plus, les règles du concours n’apparaissent pas toutes lors d’une première lecture de la lettre. Il s’agit là de faits importants que Time Magazine ne pouvait passer sous silence. Par voie de conséquence, Time Magazine a aussi contrevenu à l’art. 228 L.p.c. Toutefois, même s’il a utilisé un « nom de plume » dans leur matériel publicitaire, Time Magazine n’a pas contrevenu à l’al. 238c) L.p.c., car la lettre ne contient aucune représentation fausse quant à leur statut ou identité. Une seule lecture de la lettre suffit pour comprendre qu’il émane de Time Magazine et que celui-ci ne déclare pas posséder un statut ou une identité qu’il n’a pas en réalité.

L’article 272 L.p.c.

Un consommateur peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter une poursuite en vertu de l’art. 272 L.p.c. afin de faire sanctionner la violation par un commerçant ou un fabricant d’une obligation que lui impose la L.p.c., un règlement adopté en vertu de celle‑ci ou un engagement volontaire. En cas de contravention par un commerçant ou un fabricant à une obligation visée par l’art. 272 L.p.c., le consommateur peut demander à la fois des réparations contractuelles, des dommages‑intérêts compensatoires et des dommages‑intérêts punitifs ou, au contraire, ne réclamer que l’une de ces mesures. Il appartiendra ensuite au juge de première instance d’accorder les réparations qu’il estimera appropriées dans les circonstances. La sanction de la violation d’une obligation en vertu de l’art. 272 doit toutefois s’exercer conformément aux principes régissant l’application de la L.p.c. et, le cas échéant, aux règles du droit commun. En particulier, l’intérêt juridique pour agir en vertu de cette disposition dépend de l’existence d’un contrat visé par la loi, car l’art. 2 L.p.c. pose le principe fondamental que l’existence d’un contrat de consommation représente la condition nécessaire à l’application de la loi, sous réserve du cas particulier des dispositions pénales. Le recours n’est donc ouvert qu’aux personnes physiques ayant conclu avec un commerçant ou un fabricant un contrat régi par la loi.

Pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c., le consommateur n’a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil, car, vu l’influence possible des pratiques interdites sur la décision des consommateurs de s’engager dans une relation contractuelle avec un commerçant, l’existence d’une pratique interdite constitue en soi un dol au sens de l’art. 1401 C.c.Q. De même, le commerçant ou le fabricant poursuivi ne peut soulever un moyen de défense basé sur le « dol éclairé et non préjudiciable ». Le recours prévu à l’art. 272 L.p.c. est fondé sur la prémisse que tout manquement à une obligation imposée par la loi entraîne l’application d’une présomption absolue de préjudice pour le consommateur. La preuve de la violation d’une obligation contractuelle de source légale qui se retrouve principalement au titre I de la loi permet, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272. Lorsqu’il souhaite faire sanctionner les pratiques interdites au titre II de la loi et commises par les commerçants et fabricants, le consommateur, pour bénéficier de cette présomption, doit prouver : (1) la violation par le commerçant ou le fabricant d’une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance et (4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite doit être susceptible d’influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l’exécution du contrat de consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur, et celui‑ci peut demander l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c.

La Cour mentionne que l’autonomie du recours en dommages-intérêts prévu à l’art. 272 L.p.c. ne signifie cependant pas que l’exercice de ce recours n’est assujetti à aucun encadrement juridique. D’abord, le recours en dommages-intérêts, qu’il se fonde sur un manquement contractuel ou sur une faute, doit être exercé dans le respect du principe régissant l’intérêt juridique pour intenter une poursuite en vertu de cette disposition. Ensuite, lorsque le consommateur choisit de réclamer des dommages-intérêts au commerçant ou au fabricant qu’il poursuit, l’exercice de son recours demeure soumis aux règles générales du droit civil québécois. En particulier, pour obtenir des dommages-intérêts compensatoires, il faut que le dommage subi soit susceptible d’évaluation ou quantifiable.

Dommages-intérêts punitifs

Le consommateur qui invoque l’art. 272 L.p.c. peut également obtenir des dommages‑intérêts punitifs, même s’il ne lui a pas été accordé en même temps une réparation contractuelle ou des dommages‑intérêts compensatoires. Parce que l’art. 272 L.p.c. n’établit aucun critère ou règle encadrant l’attribution de ces dommages‑intérêts, ceux‑ci seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 C.c.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables, et conformément aux objectifs de la L.p.c., qui sont de rétablir l’équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants consommateurs et d’éliminer les pratiques déloyales et trompeuses. Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la L.p.c. peuvent entraîner l’octroi de dommages‑intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle‑ci avant d’accorder des dommages‑intérêts punitifs.

Selon la Cour, une condamnation à des dommages‑intérêts punitifs se justifiait. Elle indique cependant qu’il a lieu de réviser le montant de 100 000,00 $ retenu par la juge de première instance. Bien qu’elle ne se soit pas trompée en concluant que Time Magazine avait distribué un grand nombre d’envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l’organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, la Cour mentionne que la juge a commis une erreur en considérant, dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, la Charte de la langue française ainsi que la situation patrimoniale de Time Magazine. Ce dernier avait commis une violation intentionnelle et calculée de la L.p.c. qui pouvait affecter un grand nombre de consommateurs, et rien dans la preuve n’indique qu’il a pris des mesures correctives après la plainte de R afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l’esprit de la L.p.c. Cela constitue un facteur aggravant. Par contre, l’impact de la faute commise par Time Magazine sur M. Richard demeure assez limité, même s’il n’est pas négligeable, et l’attitude de celui‑ci n’est pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre. Cependant, le caractère minime de la condamnation à des dommages‑intérêts compensatoires milite en faveur de l’octroi d’un montant non négligeable de dommages‑intérêts punitifs. Un montant de 15 000 $ suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages‑intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite de Time Magazine de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu’elles ont utilisées, si ce n’est pas déjà fait.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.

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