Les entreprises sont de plus en plus préoccupées par la protection des marques de commerces, d’autant plus avec l’arrivée de l’enregistrement des noms de domaine. Les récents développements jurisprudentiels et les récentes doctrines à ce sujet (notamment Franchi, Éric. «Le droit des marques aux frontières du virtuel », Lex Electronica, vol. 6, n°1, printemps 2000 ) nous permettent d’y voir un peu plus clair à ce sujet.
L’état du droit canadien actuel
Au Canada, en vertu de la Loi sur les marques de commerce, l’acquisition des droits relatifs à une marque repose sur l’usage qui en est fait au Canada. Afin de pouvoir enregistrer une marque au Canada, il faut en avoir fait usage ou avoir l’intention d’en faire usage (articles 3 et s. de la Loi sur les marques de commerce).
L’enregistrement effectué, soit une preuve de la protection par marque de commerce, le titulaire de la marque disposera d’un recours en contrefaçon ouvert par la Loi sur les marque de commerce alors qu’en l’absence d’enregistrement, seul un recours pour concurrence déloyale est possible. Cependant, les marques sont en effet déposées pour une ou plusieurs catégories de produits ou services. Pour qu’il y ait conflit entre un nom de domaine et une marque, les activités relatives aux noms de domaine et aux marques de commerce doivent être de même nature afin de créer une confusion.
Au Canada, lorsqu'une entreprise constate qu'un tiers a enregistré un nom de domaine correspondant à sa marque de commerce, elle peut intenter une action en justice ou se prévaloir de la procédure d’arbitrage selon les règles de l'Autorité canadienne pour les enregistrements Internet («ACEI») lorsqu'il s'agit d'un nom de domaine se terminant par un nom de tête national «.ca».
L'ACEI a sa propre politique de règlement des différends relatifs aux noms de domaine. C'est en vertu de la convention d’enregistrement que le titulaire est assujetti à la Politique et tenu de se soumettre à la procédure d'arbitrage advenant une plainte fondée sur l'article 3 de la Politique. Plus précisément, cet article mentionne :
1) le nom de domaine .CA est semblable au point de créer de la confusion avec une marque à l'égard de laquelle le plaignant avait des droits avant la date d'enregistrement du nom de domaine ;
2) le titulaire n'a aucun intérêt légitime dans le nom de domaine ;
3) le nom de domaine a été enregistré de mauvaise foi.
Le paragraphe 4.1 de la politique de l'ACEI mentionne la preuve que doit faire le plaignant pour obtenir gain de cause. Le demandeur doit prouver ces éléments selon la prépondérance des probabilités. Le demandeur peut demander le transfert ou la suspension de l'enregistrement du nom de domaine litigieux.
L’état de la jurisprudence au niveau international
Un bref survol des décisions concernant les litiges internationaux nous donne un aperçu de la tendance générale.
L’agence de publicité SNC Alice titulaire de la marque française “Alice” déposée en 1975 à l’INPI déposa une requête contre la SA Alice, une SSII, en contrefaçon de marque. La défenderesse, titulaire de la marque “Alice d’Isoft” avait enregistré le 19 décembre 1999 le nom de domaine “alice.fr”. En défense aux allégations de contrefaçon soutenues par la SNC Alice, cette dernière faisait valoir d’une part, l’absence de risque de confusion du fait que les deux sociétés exerçaient leurs activités dans des champs bien distincts (informatique et publicité) et d’autre part, que la SNC Alice n’avait pas la notoriété prétendue. Les arguments invoqués par SA Alice furent retenus par le tribunal qui rejeta le recours en contrefaçon exercé par la SNC Alice : les activités des deux sociétés sont effectivement très différentes (si bien qu’il n’y a pas de risque de confusion) et le nom “Alice” est largement utilisé comme dénomination sociale (on ne peut donc considérer Alice comme une marque notoire).
En octobre 1999, la société Sony, titulaire du nom de domaine et du site “sony.fr” intenta un recours à l’encontre d’un particulier ayant enregistré des dizaines de noms de domaine parmi lesquels “sony-france.com” et “sony-fr.com” qui ne correspondaient à aucun site web. Au soutien de sa demande, Sony invoquait l’usurpation de sa dénomination sociale “Sony France” qui avilissait la notoriété de sa marque tout en l’empêchant d’enregistrer celle ci en “.com” (nom de domaine de tête générique). La Cour fit droit aux allégations de la société demanderesse et ordonna la cessation du trouble soit l’interdiction pour le défendeur d’utiliser la dénomination “Sony France” et le transfert à la société Sony France des noms de domaine “sony-France.com” et “sony-fr.com” à ses frais.
Ce principe d’avilissement fut cependant limité par l’arrêt Avery Dennison. Dans cette affaire, la compagnie Avery Dennison, d’un chiffre d’affaires de 6.4 milliards de dollars et employant quelques 16000 personnes était titulaire de deux marques de commerce “Avery” et “Dennison”. Ses activités principales s’exerçant dans le domaine des fournitures de bureau. Ce litige l’opposait à un fournisseur de services de courriel sur l’Internet. En effet, dans le cadre de ses activités, ce dernier avait procédé à l’enregistrement de nombreux noms de domaine parmi lesquels “avery.net” et “dennison.net.”. Avery Dennison alléguait ainsi une “dilution” de sa marque résultant de l’enregistrement de ces deux noms de domaine par un tiers. La Cour d’appel rejeta le recours intenté par Avery Dennison faute d’être effectivement notoire au sens du Federal Trademark Dilution Act.
Il importe de noter qu’un nombre insuffisant de décisions rendues en vertu de la Politique de l’ACEI, qui est entrée en vigueur en juin 2002, rendant difficile à ce stade d’identifier des tendances jurisprudentielles. Cependant, lorsque l’on effectue la comparaison entre un nom de domaine et une marque de commerce, il semble que le test d'application se rapproche davantage du test de ressemblance prévu à l’article 9 de la Loi sur les marques de commerce que le test de confusion prévu à l’article 6 de cette même loi, afin constater une similitude avec la tendance jurisprudentielle au niveau international.
Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.
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