septembre 01, 2006

L’importation et les marques de commerce, une zone grise sous surveillance

L’importation de produits échappe souvent à la protection des marques de commerce, notamment dans le cas de marché parallèle. Ces produits qui, règle générale, sont légitimement mis sur le marché étranger mais leur présence sur le marché local est assombrie par suite d'allégations de contrefaçon. Ce phénomène n’est pas nouveau, certains auteurs, notamment W. Lee Webster et W.L. Hayhurst le qualifiaient de « marché gris » à partir de 1987, dans l’ouvrage intitulé "Restraining the gray marketer policy and practice" (1987) 4 C.I.P.R. 211. Cependant, la décision de la Cour d’appel, dans l’arrêt Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., (2004) 33 C.P.R., a modifié les règles du jeu.

Kraft Foods Belgium S.A., de Halle en Belgique, fabrique la gamme de produits de confiserie Côte d'Or en Europe. En 1993, elle a autorisé Euro Excellence Inc. à agir comme distributeur canadien. Il s'en est suivi un contrat de distribution exclusive pour le Canada d'une durée de trois ans; ce contrat s'est terminé en décembre 2000. On invoque deux motifs de non-renouvellement. Kraft a soutienu que bien qu'Euro Excellence ait commercialisé avec succès Côte d'Or au Québec, elle a fait peu de gains dans le reste du Canada. Euro Excellence a soutienu pour sa part que Kraft se comportait comme un prédateur, voulant tirer avantage de ses contacts et de son renom et qu'elle tente de la sacrifier sur l'autel de l'intégration multinationale.

Kraft Canada Inc. a commencé à distribuer la gamme Côte d'Or en 2001 en vertu d'un contrat. Plus concrètement, elle avait eu un contrat antérieur qui remontait à 1990 pour la distribution de Côte d'Or mais n'y avait jamais donné suite. Au début de 2001, Euro Excellence distribuait toujours les produits Côte d'Or. Or, Kraft ne s'inquiétait pas outre mesure supposant qu'Euro Excellence liquidait des stocks accumulés, mais elle a bientôt réalisé qu'elle vendait de nouveaux produits venant d'une autre source.

Euro Excellence a commencé l'importation parallèle de tablettes de chocolat Toblerone que Kraft Canada Inc. distribuait au Canada depuis 1990. La situation s’est envenimée lorsque que le fournisseur d'Euro Excellence a commencé à procurer également les tablettes dites "Golden", des tablettes beaucoup plus grosses que les tablettes de format normal, censées être vendues que dans les boutiques hors taxes. En fait, le fabricant Kraft Foods Schweiz AG de Genève ne les a jamais offertes à Kraft Canada Inc. En conséquence, Euro Excellence distribue un assortiment plus large de produits Toblerone, ce qui peut lui conférer un certain avantage sur le marché. Kraft a fait valoir qu'Euro Excellence tire parti de sa publicité, ce qui lui donne un avantage de marché, ajoute des étiquettes autocollantes bon marché qui nuisent à la nature d'un produit de première classe, ne s'est pas conformée aux lois et règlements canadiens applicables en matière d'emballage et d'étiquetage et pourrait de fait avoir menacé la santé et mis Kraft en situation de risque en ne "canadianisant" (sic) pas la liste française des ingrédients.

Kraft Foods Belgium SA a, en octobre 2002, enregistré au Canada dans la catégorie des oeuvres artistiques les trois droits d'auteur se rapportant à Côte d'Or. L'auteur était désigné comme un certain Thierry Bigard. Le même jour, un contrat de licence entre elle et Kraft Canada Inc. était également enregistré. La licence conférait à Kraft Canada Inc. :

[TRADUCTION] [...] l'autorisation et le droit exclusifs de produire, de reproduire et d'adapter les Oeuvres ou toute partie importante de celles-ci sur le Territoire, sous quelque forme matérielle que ce soit et d'utiliser et de représenter publiquement les Oeuvres en liaison avec la fabrication, la distribution ou la vente au Canada de produits de confiserie notamment du chocolat.

Kraft Foods Schweiz AG enregistrait l'ours dans la montagne de Toblerone comme droit d'auteur dans la catégorie des oeuvres artistiques ainsi qu'un contrat de licence similaire avec Kraft Canada Inc.

La nature du litige consistait à déterminer si Kraft Canada Inc. (KCI), détiennant depuis octobre 2002 une licence exclusive de production, de reproduction et de distribution pour le Canada du droit d'auteur sur l'éléphant CÔTE D'OR et sur l'ours dans la montagne TOBLERONE, pouvait, suivant le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur (L.R. 1985, ch. C-42), (la Loi) obliger Euro Excellence à masquer l'éléphant CÔTE D'OR et l'ours dans la montagne TOBLERONE reproduits sur les emballages des produits CÔTE D'OR et TOBLERONE vendus par lui. Euro Excellence importe et distribue ces produits au Canada d'une source anonyme en provenance d'un pays européen non identifié. Notez bien que Kraft ne cherchait pas à empêcher Euro Excellence de vendre le chocolat, mais uniquement de le distribuer dans le papier d'emballage comportant les oeuvres artistiques enregistrées à titre de droits d'auteur.

La Cour d’appel a confirmé qu’il y avait eu violation du droit d'auteur à une étape ultérieure dans l'accomplissement des actes énumérés aux alinéas 27(2) a) à c), quand la production ou la reproduction de l'oeuvre en question constituant une violation si elle avait été produite au Canada par la personne qui l'a produite. Ainsi, les reproductions des oeuvres protégées faites hors du Canada, même par les titulaires des droits d'auteur KFB et KFS, ne peuvent être importées au Canada par Euro Excellence en vue de l'un ou l'autre des actes énumérés aux alinéas 27(2) a) à c), sans qu'il y ait violation du droit d'auteur de KCI à une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif de reproduction pour le Canada, même à l'égard de KFB et de KFS, et qu'Euro Excellence connaissait l'enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux oeuvres.

La Cour d’appel a souligné que le droit d’agir, au Canada, à l’encontre des marchandises du marché parallèle doit être détenu par une personne autre que le fabricant des marchandises en question. Dans le cas du fabricant détenant le droit d’auteur, le plus simple moyen de respecter cette règle est de mettre en place une licence exclusive en faveur d’un tiers notamment son distributeur canadien. Cette licence exclusive devrait également faire l’objet d’un enregistrement auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.

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