octobre 01, 2004

La protection de l’image et de sa publication

Vous désirez faire la promotion d’un endroit public, vous désirez prendre une photo pour ensuite l’inclure dans votre publicité. En avez-vous le droit ? Vous pourriez invoquer que la liberté d’expression est une liberté fondamentale protégée par les Chartes québécoise et Canadienne[1]. La publicité commerciale, par le biais de l’affichage, de la sollicitude, du message télévisuel ou de la distribution est protégée par la liberté d’expression des Chartes L’arrêt Ford[2] soulignait que la publicité commerciale joue un rôle important en permettant aux individus de faire des choix économiques éclairés, ce qui représente un aspect de l’autonomie personnelle. Mais n’oubliez pas un autre droit, celui de la protection de la vie privée. En ce qui concerne le Canada, bien qu’il soit signataire de Déclaration universelle des droits de l'homme[3] garantissant la protection de la loi contre des immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation, prévues à l’article 12, le droit au respect de la vie privée n'est pas garanti par la Constitution canadienne. La Cour suprême a consacré ce droit dont le statut constitutionnel implicite semble maintenant bien établi par une interprétation large des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés . Au Québec, le Code civil du Québec[4] et la Charte des droits et libertés de la personne assurent la protection de la vie privée. Il reste que ce droit essentiel demeure au coeur des grands débats politiques et juridiques.

En effet, la violation des droits et libertés définis par la Charte québécoise donne droit à réparation en vertu de l'article 49 « Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs ». Le régime de sanction applicable pour atteinte à la vie privée est celui de la responsabilité civile pour faute tel qu'organisé par l'article 1457 du Code civil du Québec à l’effet que « toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel. »

En ce qui concerne l’interprétation faite par les tribunaux, leur position demeure prudente et nuancée. Dans l’arrêt Aubry, la Cour suprême du Canada souligne que le droit à ce que l’image ou la voix d’une personne privée ne fassent, sans son consentement, l’objet d’une diffusion, médiatique ou autre. Cependant, elle fait également ressortir que le droit du public à l'information, soutenu par la liberté d'expression, impose des limites à la vie privée dans certaines circonstances et que la pondération des droits en cause dépend non seulement de la nature de l'information mais aussi de la situation des intéressés. En somme, selon elle, c'est une question qui dépend du contexte. Cependant, l’atteinte au droit à la vie privée garanti par la Charte canadienne des droits et libertés n’implique pas l’existence d’un préjudice. Il doit être prouvé.

Malgré tout, il faut retenir que « [l’]intérêt public prédomine lorsqu’une personne paraît de façon accessoire dans la photographie d’un lieu public, [l’]image saisie dans un lieu public peut être alors considérée comme un élément anonyme du décor, même s’il est techniquement possible d'identifier des personnes sur la photographie. Dans cette hypothèse, vu que l'attention de l'observateur imprévu se portera normalement ailleurs, la personne « croquée sur le vif » ne pourra s'en plaindre. La même solution s'impose à l'égard d'une personne faisant partie d'un groupe photographié dans un lieu public. Cette personne ne peut s'opposer à la publication d'une telle photographie si elle n'en est pas le sujet principal. », comme en fait foi l’arrêt Lessard
[5]. Cependant, le caractère anonyme de la personne photographiée ne doit en aucun cas porter atteinte au droit à la vie privée, comme le souligne l’arrêt Aubry« Toute personne ayant droit à la protection de sa vie privée, et son image étant protégée à ce titre, les droits propres à la protection de la vie privée pourront être violés même si l'image publiée n'a aucun caractère répréhensible et n'a aucunement porté atteinte à la réputation de la personne ». L’utilisation commerciale de l’image ou du nom d’autrui peut être sanctionnée, comme en fait foi l’arrêt Malo[6]. Il doit avoir une entente entre les parties concernées, soit la personne photographiée, le publicitaire et l’annonceur comme le souligne les auteurs Baudouin et Jobin[7].

En conclusion, le droit à l'image est bel et bien reconnu en droit civil québécois. Le Québec dispose d'un Code civil et d'une Charte qui prévoient des dispositions expresses sur cette question, en plus de sa jurisprudence assez étoffée. L’arrêt Rebeiro c. Shawinigan Chemicals (1969) ltd., [1973]C.S. 389, conclut que l'autorisation d'un individu doit être obtenue préalablement à la diffusion de son image et que le défaut de se la procurer donne ouverture à une action en dommages. Je termine cette réflexion avec l'extrait suivant de l'ouvrage de Christophe Bigot (Droit de la création publicitaire, Paris, L.G.D.J., 1997, aux pp. 262-263) :
« [...] toute utilisation de l'image d'une personne en publicité implique son consentement de manière certaine, effective, et non équivoque, spécialement donné pour l'utilisation publicitaire. »

[1] Charte canadienne des droits et libertés, [L.R.C. 1985, App. II, no 44] (ci-après citée « Charte canadienne ») et Charte des droits et libertés, L.R.Q., c. C-12 (ci-après citée "Charte québécoise").
[2] Ford c Procureur général du Québec, [1988] 2 R.C.S. 712
[3] Résolution 217 A (III), signée et adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, Doc. A/810, p. 71.
[4] L.Q. 1991, c. 64 (ci-après citée « Code civil »).
[5] Lessard c. Journal du Québec (Corp. Sun Média), 2000BE-983 (C.Q.)
[6] Malo c. Laoun, J.E. 2000-273 (C.S.)
[7] Les obligations, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 396, no 456

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.

AddThis

Bookmark and Share