avril 07, 2012

La protection du nom et l'abus de procédure

La Presse relatait aujourd’hui la décision de la Cour d’appel en date du 30 mars 2012 concernant les Industries Lassonde Inc. Une décision fort contestée dans l’opinion publique. J’avais abordé ce sujet en février dernier. Depuis, un jugement a été rendu. Une mise à jour s’imposait.

Rappelons les faits. Les industries Lassonde Inc. et A. Lassonde Inc. sont détentrices de la marque de commerce « OASIS » et de nombreuses marques y associées, comme « Oasis Florida Premium », « Oasis Sélection » et « Oasis Classique », utilisées essentiellement à l’égard de jus, boissons et sorbets.

Le 2 août 2005, Olivia’s Oasis Inc. a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce OLIVIA’S OASIS & Dessin) fondée sur l’emploi projeté de la marque au Canada en liaison avec les marchandises relatives aux solutions de lavage et soins pour le corps. Le 4 juillet 2006, Industries Lassonde Inc. et A. Lassonde Inc., ont produit une déclaration d’opposition dans laquelle elles ont invoqué notamment que la marque créait de la confusion avec leurs marques de commerce déposées

Par jugement rendu en août 2010, la juge rejette la procédure des appelantes d'avis qu'il n'y a aucun risque de confusion.

C’est là où l’opinion publique va un peu dans tous les sens, selon moi. Rappelons que l’appel ne porte pas sur la conclusion de la juge quant à l’absence de possible confusion entre les marques des appelantes et celle de l’intimée eu égard aux produits commercialisés. L’appel porte uniquement sur la partie du jugement où la juge conclut qu’il y a eu, en l’espèce, abus de procédure au sens des art. 54.1 et suivants C.p.c. et de la condamnation de 125 000 $. Notons qu’à la fin du procès, L’Oasis d’Olivia Inc invoque les articles 54.1 et 54.4 C.p.c. et demande à ce que ses droits soient réservés à ce sujet, elle condamne les appelantes, sur la seule foi d'une déclaration de l'intimée, à verser à cette dernière 100 000 $ en honoraires extrajudiciaires et déboursés, plus 25 000 $ en dommages punitifs. Que prévoient ces articles?

54.1 C.p.c. «Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics. »

54.4 C.p.c « Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs»

L’Oasis d’Olivia Inc alléguait que Les Industries Lassonde inc. même si elles étaient ou devaient être conscientes de la faiblesse de leur marque de commerce, ont néanmoins intentées les procédures contre elle pour la forcer à renoncer à l'utilisation du mot « oasis ». Plus précisément, pour l'intimider et l'amener à se désister de sa demande d'enregistrement de la marque « Olivia’s Oasis » et à cesser d'utiliser le mot « oasis » en association avec ses produits corporels.

Or, rien dans ce qui a été démontré, selon la Cour d’appel ne fait voir aucune preuve, par témoignage ou document, qui démontre une telle volonté des industries Lassonde.

La Cour d’appel ne voit pas dans le fait de contester l'enregistrement d'une marque et d'entreprendre en même temps des procédures pour en faire cesser l'utilisation, une manifestation d'un excès de procédure ou de moyens. Une fois la conclusion tirée par les représentants des appelantes que la marque de commerce proposée pour enregistrement par l’intimée pouvait porter à confusion, ces dernières avaient droit de s’opposer à l’enregistrement pour protéger la leur (art. 38 Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13) et en parallèle de rechercher une injonction. C’est non seulement la pratique à suivre en cette matière, mais pratiquement une obligation. La Cour retient plutôt que Les Industries Lassonde Inc. ont agi d'une manière conforme à la pratique.

Fait intéressant, la Cour rappelle que la bonne foi se présume. Pour conclure que les dirigeants des Industries Lassonde Inc. étaient de mauvaise foi ou ont fait preuve d'une légèreté blâmable, il faudrait des preuves ou des indices suffisamment probants. Le fait qu’elles aient en 1988 et 1997 obtenu des renonciations à des marques de commerce comprenant le mot « oasis » à l'égard de produits ou services totalement non reliés à leurs produits ne permet pas d'inférer qu'elles se livrent systématiquement à du harcèlement ou à des menaces à l'égard de quiconque ose utiliser ce mot. Au contraire, on peut tout aussi bien y voir le désir d'une entreprise de renforcer son identification.

Par conséquent, rien n'indique que les Industries Lassonde Inc. poursuivaient une stratégie illégale de menaces et de harcèlement à l'égard de toute personne ou entreprise désireuse d'utiliser le mot « oasis » dans une marque de commerce, ce qui aurait pu constituer un détournement des fins de la justice. La conclusion qu'il y a eu abus au sens des articles 54.1 C.p.c. et suivants ne peut s'appuyer sur la preuve faite. L'octroi d'un montant de 100 000 $, essentiellement pour honoraires extrajudiciaires, ne repose pas sur une preuve suffisante.

Concernant la condamnation à des dommages punitifs, rien n'indique que les éléments mentionnés à l'art. 1621 C.c.Q. ont été considérés dans l'établissement du montant. En octroyant des dommages punitifs, la Cour veut dissuader les Industries Lassonde Inc de recommencer ce qui a été considéré, à tort, comme un recours abusif. Leur justification n'existe plus puisque le recours n’a pas été retenu comme étant abusif.

Note de l'auteur: L'information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Cela ne change rien au fond du problème... Une grosse compagnie en poirsuit une petite qui n'a pas les moyens de payer ses avocats et cela même si elle gagne. Protéger sa marque c'est bien, mais faut abuser!

Étienne a dit...

Mmmmmm n'est-il pas interdit de mettre une marque de commerce sur un terme générique tel que oasis? Du moins selon le réseau jurique québécois oui. Bref dès le départ cette histoire est totalement farfelue...

Natalie a dit...

Merci Benoit et Anonyme pour vos commentaires

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